Comme une résonance – TEXTE

Comme une Résonnance par Virginie Paoli – Extrait 1

Lieu : Centre de repos de « *Bouvignies », dans le Nord de la France Description des différents personnages de cet extrait :

Mireille, directrice du centre de repos de Bouvignies, originaire de Belgique, la quarantaine, aide – croyante, se laisse porter par les courants, toujours très élégante, voix légèrement bourgeoise, amoureuse frustrée, pratiquante de tout, même du fantasme.
C’est « La plus ancienne des pensionnaires », à qui l’on doit le respect, mais tout le monde ne partage pas cet avis.

Le jeune homme, Dominique, d’origine britannique, tout frêle, tout droit sorti de son nid. ll est venu dans ce centre pour se reconstruire, manque totalement d’expérience, naïf, est en demande pour apprendre autre chose, autrement.

Alicia Roussel, concierge hôtesse d’accueil du centre, « du centre spécial » comme elle dit, depuis 5 ans, accent du Nord prononcé, s’agrémente de tout, parle de tout, a un avis sur tout, sa fierté la chanteuse, « Yvette Guilbert », descendante d’une vieille famille de Bouvignies au XIXe siècle.
Elle s’occupe de son accueil comme un enfant, le bichonne, maniaque de la propreté, elle attache beaucoup d’importance à son standard, astique sans cesse le téléphone, et fait souvent des rhinites allergiques.

Jules et Julie, personnages des scènes « Intérieurs jours/nuits »,

Lui qui devient Jules au cours de la pièce, personnage des « scènes Intérieurs jour/nuit », amoureux fou comme un jeune premier de (Elle/Julie), tragédien, fragile, sensible, amusé d’être différent, se joue au jeu de l’amour.

Elle qui devient Julie, autonome, lucide, fragile et mûre, douce, et naturellement maternelle.

La Narratrice, très sensuelle, mûre, entre 30 et 40 ans, enfin à peu près, moderne, à vous de juger, porte toujours les talons hauts, elle est tout à la fois, elle joue les rôles de présentatrice, de narratrice, l’actrice de sa propre vie, et du temps qui passe.

« Les pleureuses », voix intérieures de la pièce, femmes machiavéliques, plaintives, sans aucun pouvoir, sont aussi les tantes de Jules et Julie.

L’ex – interne élégant (le rêve éveillé).

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Intérieur II (jour) Scène 3 – Extrait 2  

Musique/La Narratrice. La narratrice traverse le centre de repos, et se relate un bref souvenir en marchant, très nostalgique, et enfantine.
 

La narratrice.                                                                                                     

Sur la route, en traversant, je me suis vue comme pour aller à l’école ; pour bien être éclairée, des lampadaires, une route goudronnée, des arbres, des maisons, de chaque côté, en briques rouges, accolées les unes aux autres, comme indécollables, semblables aux autres.
Des souvenirs longs, des trottoirs gris, étroits, salivant de saleté, un bruit continu de voiture, à vive allure, je marchais moi aussi, d’un pas pressé, comme pressée de ne pas me souvenir, mais il venait lui-même, me frapper, je marchais toujours à vive allure, fière, toujours pressée, ne t’arrête pas, surtout, ne t’arrête pas, mais il frappait à la porte, plus fort, encore, pour ne pas oublier, ces souvenirs, ne pas oublier…l’urbaine, la ville et l’odeur.
Le bruit du bus qui se freine, comme pour freiner sa frénésie, il prend en route les passagers, de cette longue rue interminable.

On les entend au loin marmonner, se rapprocher toutes ensemble ; les pleureuses toujours un peu dans l’ombre, gémissent, crépissent.

Intérieur (Nuit) III Scène 5 – Extrait 3

La narratrice.
Sa silhouette nous laissait à chaque fois comme une sorte d’énigme à élucider, comme un nouveau goût du mystère contemporain.
(Musique/le Rêve éveillé) Elle, elle était bien contemporaine, lui était très moderne, plus jeune de 3 ans, jeune fougueux il la suivait, quand il sentait en elle, un départ affirmé.
Cette fois c’était le bon, comme un rêve éveillé, elle continuait la route, confirmée, de quelques gestes. Une route à laquelle elle ne pouvait échapper, ensemble (Fin de la musique).
Pour elle, elle se sentait suffisamment forte pour enfin lui révéler son identité»
Elle se parle à elle-même, en parlant de lui, angoissée, elle.

Elle. Je lui dis avance, avance, tu voulais marcher pour prendre de l’avance, alors avance bordel…
   Il me suivait toujours du regard, ….comme un petit chien, tortillant, comme un petit…il m’aimait ! Il me suivait essoufflé, mais il me suivait quand même !
C’est toi que j’aime me disait-il, je le laissais faire, par principe.
Je m’abandonnais à la lumière du jour, je prenais le temps de m’allonger un instant, et de contempler, l’incontemplable, un ciel gris, des nuages rougeâtres, des mouettes, au nombre de 10, cette fois, alignées, les unes aux autres.
 Plus bruyantes encore, qu’un bruit sourd, des notes grinçantes…aigues, te voilà légère me dis-je, prête à me laisser guider, échappée d’un long silence.

La narratrice.
Suite aux lettres reçues, Mireille rêve en intérieur, et fantasme de rencontrer
l’ex infirmier. Le départ. Mireille s’adresse à lui en le vouvoyant, avec une certaine autorité dans la voix. Mireille toujours comme dans un rêve éveillé, à distance, s’avance lentement.

Mireille.
C’est ici que je vous laisse, vous…vous en sortirez bien sans moi, je ne vous oublierai pas, merci pour vos lettres !

La narratrice.
Mireille se rapproche, (début de la musique/ le rêve éveillé) très cinématographique, lui caresse délicatement la joue, l’embrasse du bout des lèvres, puis se tourne à nouveau vers lui, l’embrasse encore une fois du bout des lèvres.
Puis se retourne, et s’éloigne en traînant son linge et continuant sa route lentement.

Mireille.
Quelle belle journée, vous ne trouvez pas ?
Au revoir, vous êtes magnifique !!

L’ex interne élégant. (En rêve)
    Attendez, je n’avais pas fini de vous dire, que mon amour…était…si vrai qu’aujourd’hui, il n’a plus de sens d’exister puisque vous n’êtes plus près de moi ; vous me quittez, comme vous quitterez, d’autres hommes, pourquoi vous ne vous attachez pas ? Pourquoi ?
N’oubliez pas ! Seule la peur… vous donnera raison, revenez, ne partez pas, restez !!!

La narratrice. Elle s’éloigne de plus en plus.

Mireille. Vous aussi, vous êtes vraiment magnifique !!

L’ex interne élégant. (En rêve) Que dieu vous garde aussi, vous avez la grandeur et l’élégance d’une princesse, j’aurais voulu vous faire vivre un conte de fée, de
« il était une fois…il était une fois l’histoire d’une plaie qui s’ouvre… adieu…ma douce !!
Au revoir !!

La narratrice.
Au ralenti, à genoux, très tragédien, essaye de la retenir en lui attrapant la jambe. Elle sème un bout de linge.
 Il déclame.

 L’ex interne élégant.  Ah, je saigne, mon cœur est meurtri, quelle douleur m’envahi, je pleure, ma mie, mon honneur, ma douleur silencieuse, mon corps se traîne, mes pieds se tordent, (il tire près de lui un bout de linge, puis un autre mouchoir arrive), votre mouchoir, vous avez oublié votre mouchoir, je vous salue, ah mon dieu ! Quelle douleur si cruelle ! Vous me laissez seul, sans vous, sans modèle vivant, le naturel, mon amour, gardez votre naturel!  Je suis comme cassé, et plus le même déjà… vous m’entendez ??
 Revenez ma belle ! J’aurais tant voulu…de vous… pourquoi vous me laissez sur votre chemin sans rien ? Est -ce cela l’expérience d’un être?
 (A quatre pattes, puis allongé sur le sol) Apprendre, sous la contrainte, sans forcement être prêt à recevoir la violence d’un départ, celle qui vous a laissé comprendre, qu’elle ne resterait pas plus longtemps.
J’étouffe !me disait-elle…je comprenais aussi cela !
Les femmes méconnaissent bien des choses, celle d’être bien aimé, car je vous aime, comme un fou, un dragon triomphant, je vous aime, et vous attends, nous nous retrouverons, un temps de vie, je comprends votre promenade solitaire, mais bon dieu…je vous attends ! L’amour est la vie même, je vous attends ! Votre prénom, Mireille, Mireille…Mireille…je vous attends ! Non loin de là, je t’attends !!

La narratrice. On la voit toujours s’éloigner, puis sème un autre bout de linge, il la regarde partir. Il sort en silence.

Intérieur IV (jour) Scène 6 – Extrait 4

La narratrice.                                                                                                                                

On retrouve dans cette scène en alternance Elle, et Mireille. Le fantasme de Mireille, qui parle, entre le rêve, et la réalité, continue seule sa route, après avoir quitté l’ex interne élégant.                                                                          Mireille rentre, traînant derrière elle son bout de linge à la main.

Musique/Le Rêve éveillé
Mireille. Quel soulagement, et pourtant…il était attachant, attaché à m’aimer plus encore, et moi je survis à cela !
Ses yeux, m’ont toujours assuré qu’il m’aimait, ces lettres m’ont toujours assurée qu’il m’aimait, et pourtant, je survis à cela !
Je suis seule à écouter les oiseaux chanter, rien ne me force à m’habiller, et pourtant je survie à cela ! (Elle s’enroule dans son linge/fin de la musique)
Aujourd’hui j’ai la vague à l’âme, nous sommes mardi, et la nuit tombe déjà… vite !        
Je ronge mes ongles, plus que trois à ronger, j’attends un événement, nous sommes mardi, l’événement du lundi en 8, de la kermesse de Bouvignies, c’est pour bientôt.
Je suis sûre qu’il s’est passé quelque chose depuis mon départ, mais c’est passé déjà !
Enfin demain mercredi, j’achèterai le journal de Bouvignies !!
Tiens c’est vrai il n’est plus là ! Il est absent !
L’ex infirmier, élégant, étranger, d’être étrangère à tout cela !!
Moi quand j’ai faim, ça me creuse du bas des pieds…et j’ai faim !!
Des banalités, ce soir, estomac dans la poitrine, je me suis trouvée un coin bien tranquille, j’ai décidé de dormir à la belle étoile comme une SDF, le cœur sur la hanche, un peu l’âme « Macadam » !
Je savoure, quand même, un peu, beaucoup, passionnément, ce moment tant attendu, SEULE…il est plus là ! C’est quoi déjà son nom à l’ex interne, élégant?? Je pourrais dire qu’il me manque, (regard public et tombe le visage face au sol) mais non, je m’étais habitué c’est tout…oui c’est ça… s’habituée !!
La narratrice. Elle rentre comme dans un rêve éveillé, débit très rapide, folie solitaire, hystérique, elle.

Musique/Le rêve éveillé

Elle.
Pourquoi je ne dis pas ce que je pense vraiment, pourquoi je me mets toujours là ou il ne faut pas, je ne suis pas à ma place, non ça se voit bien, je vois bien, que si je recule de deux pas déjà, c’est trop !
Et si j’avance trop vite, je prends de l’avance, je vais devoir attendre, et j’ai horreur d’attendre, et puis un jour, on finira par me dépasser, et j’ai horreur qu’on me dépasse.
(Evocation de la famille/rupture)
Quel bonheur pour moi serait par exemple de veiller toute la nuit avec quelques aimés à mes côtés ! On dirait des banalités ! Une fois !
Encore une fois n’est pas coutume ! La coutume de fêter tout ! Et n’importe quoi, les anniversaires, la fête des mères ! Tiens ! Faudra que je pense à appeler la mienne ! La fête des pères ! Tiens ! Faudra que je pense à appeler le mien !
 Je n’aime pas les fêtes à fêter, celles qu’on vous impose, quand justement on se repose !!
Non moi, j’aime mon pays, j’aime la mer, les coquillages, tiens ! Je suis épuisée, ce soir !

Epuisée, comme un évanouissement, elle s’enroule sur elle-même !

Intérieur (8 ) Jour Scène 16 – Extrait 5

Ils avancent l’un vers l’autre, le pas fragile, délicat, très chorégraphique.
Jules/Julie.

Jules.
C’est drôle, j’ai peur !!
Julie.
Ah oui, moi aussi !!
Jules.
J’ai peur du vide…
Julie.
..Et moi j’ai peur du vide et de la mort…
Jules.
..Et moi j’ai peur, du vide, de la mort, et de l’infini…
Julie.
..Et moi j’ai peur, du vide, de la mort, de l’infini, et de l’éternel recommencement…
Jules.
Ah ? Tu crois ? Tu crois vraiment ? Les choses ont une fin, c’est connu…
Julie.
Les choses ont une fin, Jules, parce que la vie s’achève ainsi, elle se termine, pour ce qui reste des vivants ! Mais morts ? Quelle différence Jules ? Dis-moi ?
Jules.
C’est vrai ! Quelle différence ? Puisque nous sommes bien vivants, et la mort alors ? La mort est-elle vivante ? Une conscience que l’on ne soupçonnerait pas ! Un esprit ! Une mémoire collective ! Un amour éternel ! Une caresse !
Une éternelle jeunesse Julie ! Je t’aime Julie, comme jamais….je…
Julie.
Chut…il fait bon, il fait chaud…tu n’ trouves pas ? T’as déjà mis les mains dans la terre ?
Jules.
Non, mais…
Julie. (Chuchotant) Chut…oh comme c’est bon, regarde, trempes les, tu trempes tes mains dedans, et tu les enfonces jusqu’au bout Jules, jusqu’à t’en mettre dans l’intérieur de tes plis, et c’est bon, tu vois tu te colores, comme un véritable asticot qui jaillit du fond de sa bulle d’air, il profite lui aussi pour reprendre un peu de sa respiration.
Jules.
Je vous aime…je vous aime comme un fou…
Julie.
Chut… J’aime pas les regrets, j’aime pas ceux qui s’apitoient sur leurs sorts, j’aime pas les plaintes inutiles ! J’aime pas la médiocrité ! J’aime pas la réussite facile ! J’aime pas les maisons de retraite ! Mais j’aime ma grand-mère !
Jules.
Vous m’aimez, n’est-ce pas ?? Julie dis….vous m’aimez ?
Julie.
Je…vous…trouve, enfin magnifique ! Vous me donnez votre amour, si….fraternellement, je vous aime…
Jules.
Votre beauté…Julie, oh heureuse beauté ! Vos yeux sont comme des étoiles à faire rougir un ciel, votre voix si harmonieuse, Julie ne retenait qu’une chose, qu’un amour, quoi qu’il arrive, se partage….
Julie.
En vidant le doux secret de nos cœurs, c’est ça… celui d’être frère et sœur.
Jules.
Je vous nourris Julie, de la nourriture des amants…
Julie.
Jules, nous ne sommes que des enfants, encore que des enfants, Jules.

Noir.

Dépôt Sacd

Comedienne, Auteur

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