La première fois que j’ai pris le train, je n’ai pas compris si j’avançais dans le bon sens, où si j’étais à sens unique de la vie.
Ce qui défilait devant mes yeux, prenait souvent la forme d’un carnaval :
« Chars chatoyants, vaches en culture, épouvantails à moineaux, brebis égarées, et ma gueule…en prime. »
La première fois que j’ai pris conscience de la mort, le père noël c’est évadé brutalement.
La première fois que j’ai respiré, j’ai pris un bol d’air pour une bouffée de vie.
La violence évidente d’être sûre d’être bien vivante.
J’ai soufflé, et je me suis inspirée de mes évidences croyantes.
La première fois que je me suis évadée de chez moi, j’ai bien cru que je tombais d’un nid déjà défait, défroissé de son intimité enfantine.
Des pas pour la première fois que je regardais comme une évidence, d’une seule et unique respiration familiale, celle qui vous mène par un bout de nez encore fragile, sorte de cartilage vertigineux, pas encore prétentieux.
Cette toute première fois où j’ai dansé comme une grande, je dépassais déjà d’au moins d’une tête, les garçons.
« Les slows », nous révèlent souvent de bonnes surprises.
La première fois qu’on m’a demandé ce que je faisais dans la vie…
Ce jour là, ce fut un instant de trop.
Chez toi, tu crains juste de ne jamais être remarqué.
Mais à l’extérieur, tu sors toujours pour être vu.
La première fois que j’ai fait l’amour, j’ai eu peur de dévoiler toute mon intimité, alors j’ai respiré profondément, et j’ai fermé les yeux très fort pour ne pas m’attirer des emmerdes.
Tellement fort qu’après coup je ne pouvais plus les ouvrir.
La première fois que je suis montée sur scène, quatre ans à peine, et déjà affublée d’un ridicule vêtement trois pièces d’écureuil.
Ce jour là, j’ai commencé à pleurer et à rire à la moindre nervosité.
J’étais marquée à vie.
Sans doute dans la pure ignorance, et dans l’apprentissage de toutes ses émotions, mêlées à la fois de joie et de peur, « je me suis dit que ça c’était du théâtre », j’avais la chair de poule.
Comme des enfants, j’aimais à m’amuser, à me rouler par terre.
C’était un jeu de vie.
Quand mon corps s’est mis à inventer, j’ai commencé à briller, seule, en aparté, à faire de ma vie une vivante didascalie, à m’agenouiller à la moindre exclamation, à transformer mon histoire passée dans un vrai moment de vie, à observer les gens dans le plus grand secret, et à imaginer le pire dans les plus beaux moments.
La première fois que j’ai aimé si fort, j’en suis tombée à la renverse, un vrai vent d’amour qui chavire toujours sur le côté.
Je ne me suis jamais plus relevée de la même manière.
La première fois que je me suis sentie isolée, plus rien ne bougeait autour de moi. Tandis que je manifestais les plus grands espoirs pour me faire remarquer, juste un signe, un signe de la main, un moindre sourire.
Le téléphone ne sonne jamais quand tu l’attends. Mais toi tu l’attends.
La première fois que ma mère m’a caressé les cheveux, c’était pour me démêler l’impossible tête en l’air que j’étais.
Depuis je me suis échappée pour ne jamais plus m’entremêler avec elle.
La première fois que tu es mort, j’ai perdu tout espoir de ne pas mourir avant toi. Je me suis promise de ne jamais me retourner en arrière, sans doute tu trouveras encore des traces de nous, dans une certaine distance, au milieu de nul part, ce n’est qu’un au revoir me disait-il. Je ne l’ai jamais revu. Un signe de la main, un dernier signe, un regard de celui qui n’a jamais tout dit.
Son dernier regard avant de fermer la porte, je pense encore aujourd’hui à sa main accrochée à la poignée, moite et parlante.
Seule, grandissante auprès de lui, je m’étais habituée au nom que je portais, il fredonnait de temps en temps, mon nom, comme un pseudo, animal mais coquin : « mon petit cochon. »
Ce nom me trainait à la trace, saleté mal propre…comme un surnom qui vous suit, un pseudo qui vous envahit pour le reste de vos jours.
Par Virginie Paoli